Discussion:
Les Ancêtres de la Ligne
(trop ancien pour répondre)
Dominique Ottello
2005-04-26 14:54:28 UTC
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Bonjour,

Dans la série : « Les ancêtres de la Ligne », les noms suivants :

Colonel Casse, Jean Argaud, Aviateur Rodier, Jonquille, Péronne,
Reims, Belfort, Lunéville, Révigny, Épernay, Cigogne, Phocée,
Becfigue, Bemtévi.

vous évoquent-ils quelque chose ?
--
= Dominique Ottello = http://www.ottello.net
Aujourd'hui, l'idéal du progrès est remplacé par l'idéal de l'innovation :
il ne s'agit pas que ce soit mieux, il s'agit seulement que ce soit nouveau,
même si c'est pire qu'avant et cela de toute évidence. Montherlant
Dominique Ottello
2005-04-27 12:56:34 UTC
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Post by Dominique Ottello
Bonjour,
Colonel Casse, Jean Argaud, Aviateur Rodier, Jonquille, Péronne,
Reims, Belfort, Lunéville, Révigny, Épernay, Cigogne, Phocée,
Becfigue, Bemtévi.
vous évoquent-ils quelque chose ?
À priori, les Ancêtres qui ont permis que l'A380 puisse voler, ça
n'intéresse pas grand monde.

Allez, j'ajoute que Mermoz et Phocée vont ensemble.
--
Ce n'est pas parce que l'erreur se propage qu'elle devient vérité. Gandhi
Technologie aéronautique : http://aviatechno.free.fr (http://ottello.net)
Concorde dans la presse de 1965 à 2003 : http://le.pointu.free.fr
Anvil
2005-04-27 14:44:43 UTC
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Post by Dominique Ottello
Post by Dominique Ottello
Bonjour,
Colonel Casse, Jean Argaud, Aviateur Rodier, Jonquille, Péronne,
Reims, Belfort, Lunéville, Révigny, Épernay, Cigogne, Phocée,
Becfigue, Bemtévi.
vous évoquent-ils quelque chose ?
À priori, les Ancêtres qui ont permis que l'A380 puisse voler, ça
n'intéresse pas grand monde.
Allez, j'ajoute que Mermoz et Phocée vont ensemble.
Des noms d'avions?
Dominique Ottello
2005-04-27 14:55:40 UTC
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Post by Anvil
Post by Dominique Ottello
Allez, j'ajoute que Mermoz et Phocée vont ensemble.
Des noms d'avions?
Non
Dominique Ottello
2005-04-27 17:59:56 UTC
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Post by Dominique Ottello
Colonel Casse, Jean Argaud, Aviateur Rodier, Jonquille, Péronne,
Reims, Belfort, Lunéville, Révigny, Épernay, Cigogne, Phocée,
Becfigue, Bemtévi.
vous évoquent-ils quelque chose ?
Il s'agit des noms des avisos* qui ont fait partie de l'unité
« Maritime » d'Air France.

* aviso, nom masculin (abréviation de l'espagnol barca de aviso
« bâtiment d'avis »). Marine. Petit bâtiment de reconnaissance et de
surveillance lointaine, caractérisé par un faible tirant d'eau, un très
grand rayon d'action et une bonne vitesse qui étaient principalement
employés pour porter des ordres, des dépêches, des avis.

Et oui ! Air France a comporté une unité maritime avec des capitaines,
des officiers, des quartier-maîtres, des matelots et des navires.

Grandeur et Servitude de l'Unité Maritime d'Air France

Se sentir investi, à tort ou à raison, d'un devoir de mémoire suppose
avant tout, vous en conviendrez, de porter à la connaissance du plus
grand nombre les faits et gestes qui méritent que l'on s'en souvienne.
Or, combien d'ex-agents d'Air France et a fortiori aujourd'hui du
Groupe, ont connu un jour l'existence d'un service maritime au sein de
leur Compagnie, oeuvrant tout d'abord en Méditerranée puis en Atlantique
Sud ? Très peu sans doute. Qu'il me soit donc permis de leur en dire
deux mots, en connaissance de cause et avant qu'il ne soit trop tard.

C'est tout d'abord à la précarité des appareils lancés sur le tronçon
Alicante/Oran par les lignes Latécoère que l'on doit la création d'un
service de dépannage maritime en Méditerranée, décision qui se
justifiait d'autant plus que l'ouverture de la ligne Marseille/Alger
allait accroître les mêmes besoins. C'est ainsi que furent mis en place
quatre navires exclusivement destinés à aller secourir les équipages des
hydravions tombés en mer.

Trois des quatre Unités de cette flottille plutôt disparate portaient
des noms d'aviateurs disparus :
- le Colonel Casse (3) basé à Alger
- le Jean Argaud basé à Port Vendres
Il s'agissait là de deux ex-chasseurs américains de sous-marins
construits à New York en 1917 à quelques 450 Unités pour le compte de
l'U.S. Navy. Ils déplaçaient 84 tonnes avec des mensurations de 33,5 m x
4,70 m et 2 mètres de tirant d'eau, propulsés par 3 moteurs de 250 CV
chacun. C'étaient deux bons petits bâtiments en pin d'Orégon, bien
chevillés, qui tenaient parfaitement la mer et filaient tout de même
leurs 17 noeuds.
- L'aviateur Rodier basé à Port de Bouc, plus petit mais plus rapide,
avait en charge la sécurité du Golfe du Lion et des mouvements des
hydravions qui opéraient sur l'étang de Berre.
- Le Jonquille, enfin, sorti des chantiers de Lorient à peu près à la
même époque était ancré à Palma de Majorque, base particulièrement bien
équipée pour le sauvetage et le ravitaillement mais surtout située en un
point plus central de la Méditerranée.
L'armement de chacun était de dix hommes (moitié officiers, moitié
matelots) disposant de moyens de navigation et de radio les plus
performants de l'époque permettant de couvrir tout le secteur occidental
de la Méditerranée.
C'est ainsi que se présentait alors la protection des hydros dont
l'exploitation et l'entretien, aussi bien en l'air que sur leur plan
d'eau, n'était pas une sinécure et les heures à y consacrer devaient
être pleines d'attention et souvent d'inquiétude.

Mais c'est bien l'Atlantique sud qui s'ouvrit le plus fréquemment et le
plus longtemps aux étraves de nos Avisos.

Pour réaliser le visionnaire projet de liaison postale entre Toulouse et
Santiago du Chili, il était un écueil de taille : c'était le
franchissement des 1 620 miles qui séparent toujours Dakar de Natal.
C'est ainsi qu'en attendant et pendant que progressait l'opiniâtre
recherche d'une solution aérienne, le lien transatlantique allait être
assuré par le plus ancien si non le plus classique des moyens de
navigation à portée immédiate : les navires.

C'est alors que l'Aéropostale loua à la Marine Nationale pour un franc
symbolique par an et par navire, d'anciens chasseurs de sous-marins là
encore désarmés, remisés à Cherbourg et promis à la casse. Ainsi furent
successivement mis à disposition de l'Aéropostale : Le Péronne, le
Reims, le Belfort, le Lunéville, le Révigny et l'Epernay, soit six
bâtiments chargés du transport du courrier, une fois par semaine et dans
les deux sens, permettant ainsi le fonctionnement d'une ligne régulière
continue entre l'Europe et l'Amérique du Sud. Leur étaient adjoints
quatre navires de plus faible tonnage, dits de servitude, baptisés
Cigogne, Phocée, Becfigue et Bemtevi, chargés de missions diverses et de
dépannages éventuels d'hydravions en haute mer comme ce fut le cas le 9
juillet 1930 pour le Phocée qui sauva l'équipage Mermoz, Dabry et Gimié
après un amerrissage de fortune à 400 miles de Dakar (1).

Arriva le moment où tout le matériel ayant réellement souffert des
conditions d'exploitation qui lui furent imposées, il fallut envisager
de le remplacer, Pour ce faire, quatre navires furent commandés,
baptisés Aéropostale I, II, III, IV, sortis respectivement des chantiers
navals de Bordeaux, Sète et Nantes pour les deux derniers mais
strictement identiques, à savoir : 450 tonnes de déplacement, 60 mètres
de long, 6 mètres de large et 2,50 mètres de tirant d'eau, ce qui, dans
ce dernier cas était vraiment très peu au regard de leurs
superstructures. Leur vitesse était donnée pour 17 noeuds ce qui
supposait que la coque soit propre mais en perdait jusqu'à trois après
un trimestre en eaux tropicales.

Un équipage était constitué de 24 hommes (officiers et matelots en
nombre quasiment identique) qui, sur de tels bateaux, en plus de leur
expérience professionnelle et leur disponibilité totale, se devaient
d'avoir l'estomac bien accroché pour en supporter les mouvements.
Mouvements tellement exagérés qu'à l'origine ces avisos furent déclarés
« non marins ». Ce qui justifia la mise en place de quilles latérales de
50 centimètres de large sur une grande partie de la longueur de la
coque. Cette modification n'apporta que peu d'amélioration et les
quelque 110 heures que supposait la traversée Dakar-Natal étaient d'une
pénibilité plus que certaine tant pour l'équipage que pour le matériel,
et si l'Aéropostale II a disparu corps et biens le 12 août 1932, il y a
peu de questions à se poser quant aux circonstances de sa disparition,
le chavirement en est tout simplement la cause. Mais hélas 24 hommes
d'équipage disparaissaient à tout jamais.

Les conditions de navigation méritent que l'on s'y attarde quelque peu
pour préciser aux connaisseurs le comportement de ces bateaux et les
conditions de vie à bord. À 15 noeuds avec une houle de hanche ou de
l'arrière, les roulis dépassaient souvent 40° et l'hésitation à se
redresser provoquait bien souvent l'inquiétude tandis que les tangages
mer debout les dégageaient jusqu'à l'aplomb de la passerelle, et vous
conviendrez avec moi qu'il y a anomalie lorsque les hélices brassent de
l'air plutôt que l'élément dans lequel elles se doivent de travailler.
Je vous laisse le soin d'en déduire les conditions de travail et de
repos à bord. Cette situation conduisit, début 1934, les trois avisos
restants (qui avaient vu leur nom devenir Air France I, III, IV) à subir
un soufflage de la coque pour gagner un mètre de largeur au maître
couple et améliorer ainsi la stabilité transversale.

Parallèlement des travaux étaient en cours qui devaient réduire le
parcours à effectuer par ces bateaux en attendant le service
intégralement aérien En effet des pistes furent aménagées :
- 1 - coté africain aux Îles du Cap Vert : à Porto-Praïa (2) à 350 miles
de Dakar.
- 2 - côté Amérique du Sud : au Brésil, à Fernando de Noronha réduisant
ainsi de 500 miles la traversée maritime.

Mais dès que furent réalisables à 100 % les liaisons aériennes, les
Avisos s'installèrent à tour de rôle en des points bien précis du
passage des hydravions ou avions auxquels ils prêtaient assistance
météorologique, radio goniométriques et radio tout court, toujours «
parés » à porter secours à tous ceux qui en auraient besoin, et Dieu
sait s'il y eut de nombreux cas toutes nationalités confondues.

À ce stade je rappellerai un passage de l'avant-propos du « grand » Jean
Macaigne (4) pour son livre sur le sujet, lui qui fut radio à bord du «
Péronne » avant d'entamer là haut ses vingt quatre mille heures de vol
dont six mille de nuit, je le cite : «... n'étant plus auréolée du
prestige nouveau qui s'attachait à l'air, la participation éphémère de
ces navires à l'histoire de l'Aéropostale n'en a pas fait des vedettes -
aucun nom prestigieux n'a survécu à leur passage - ils n'apparaissent
qu'en épisode estompé dans l'édification et la survivance de la Ligne.
Cependant, durant les premières années liées à la période critique du
démarrage ils occupèrent, souvent avec gloire, une place aussi difficile
qu'ingrate. Et l'on peut affirmer que, sans Eux, la Ligne n'aurait pu
débuter que six à huit ans plus tard. »

J'aurais aimé terminer sur cette citation mais je ne résiste pas à
l'envie de vous dire jusqu'au bout ce que fut la fin de vie de ces trois
Avisos. A mon sens cela mérite d'être connu.
Ils furent réquisitionnés en 1939 par la Royale et conservèrent leur
appellation d'Air France I, III et IV. Armés copieusement pour la chasse
aux sous-marins, les jonctions de convois et leur protection, ils furent
affectés à la 7e flottille de défense de Dakar, ce qui leur valut en
septembre 1940 d'affronter la Royal Navy et d'être cités à l'ordre de la
Division navale par ordre en date du 14/10/1940. Le revirement de
situation imposé après le débarquement d'Afrique du nord les
conduisirent à quitter leur neutralité et coopérer pleinement avec les
Alliés, et leurs très nombreuses attaques contre les U-boat de la
Kriegsmarine leur valurent à nouveau d'être cités à l'ordre de la
Division Navale par ordre en date du 20/11/1945, après qu'il fut mis fin
à leurs missions. Et là, je vous laisse à vos réflexions.
Pour en finir, le I fut rendu à son armateur (service archives dixit) en
août 1946. Le III déréquisitionné le 7/11/1945 fit du cabotage sur les
côtes d'Afrique avant de faire naufrage au large de la Côte d'Ivoire et
le IV subit les affres de la casse.

Voilà ce que j'estimais devoir vous dire pour eux.

Yvan Chonavel
Quartier-maître radio sur le Air France I
Présence des retraités d'Air France n°140
-----------------------------------------

(1) Exploit de Mermoz, Dabry et Gimié

Brésil, 13 mai 1930 (Vol aller)
A leur amerrissage à Natal, trois vedettes viennent à la rencontre de
Mermoz, Dabry et Gimié, lesquels pensent à une escorte officielle :
n'ont-ils pas effectué la première liaison postale aérienne entre
l'Europe et l'Amérique du Sud? En fait, ce sont des douaniers brésiliens
qui, tout de suite, leur réclament leurs passeports. Jusqu'à présent, le
courrier franchissait l'Atlantique par bateaux avisos. Perte de temps
inacceptable pour Mermoz, qui, sûr du Laté 28, décide de tenter la
traversée de l'Atlantique Sud. Hier, à bord de l'hydravion Comte de La
Vaulx, il décollait de Saint-Louis-du-Sénégal avec le navigateur Dabry
et le radio Gimié, ainsi qu'une charge de 130 kg de poste. Volant à très
basse altitude et à vitesse régulière, ils pénètrent, soudain, dans la
fameuse zone de dépression du pot au noir. Trois heures durant, ils sont
ballottés par les éléments ; le moteur manque même d'être noyé par la
pluie. Enfin, se dessine une trouée. La côte brésilienne est en vue.
Pour Jean Mermoz, « ce fut un vol sans histoire » !

Série noire pour l'hydravion Latécoère 28-3

Atlantique Sud, 9 juillet 1930 (Vol retour)
Vaincu par Mermoz, l'Atlantique Sud vient de prendre sa revanche. Il a
englouti son hydravion Comte de La Vaulx, de retour du Brésil, au large
de Dakar. Ce naufrage est le point d'orgue de la série noire que connaît
le Laté 28. Voilà des semaines que Mermoz, Dabry et Gimié tentent de
rejoindre le Sénégal de-puis Natal. Le 8 juin, l'hydravion ne parvient
pas à déjauger, après trente-cinq essais. Le courrier est transbordé sur
l'aviso Epernay. Daurat envoie à Natal l'ingénieur Larcher pour modifier
les flotteurs de l'appareil. Le 8 juillet, à la 53e tentative, Mermoz
arrache enfin le Laté de la surface de la lagune Bomfin. Hélas ! après
14 heures de vol, une fuite d'huile va l'obliger à amerrir à 900
kilomètres du Sénégal! L'aviso Phocée, qui se trouve à proximité, porte
secours aux trois naufragés et récupère le courrier. Mais le Laté coule
lors de la tentative de remorquage. Malgré ses qualités indéniables, cet
hydravion monomoteur est abandonné pour la traversée de l'Atlantique
Sud. Les avisos vont reprendre du service et Mermoz ne décolère pas.

Extrait de « Mes Vols » de Mermoz
Éditions Flammarion - Avril 1937

Au-dessus de l'Atlantique.

Et à 16 h. 30 (19 h. 30 G. M. T.) notre hydravion s'éleva de la lagune
en une minute avec une facilité dérisoire.
Notre victoire, nous la devions au vent sud-est.
Que nous importaient les nuages bas, les menaces de pluie entrevus peu
après notre envolée. Nous étions payés de tous nos maux, et nous filions
de l'avant sans nous apitoyer sur notre aventure.
Tout de suite Gimié entra en relations avec le poste de T. S. F. de
Natal.
Malgré les secousses provoquées par les cinquante-trois manoeuvres,
notre appareil était aussi fringant que par le passé. A 200 mètres
d'altitude, au-dessus d'une mer sombre, il fonçait, j'oserai dire, tête
baissée dans la pluie. La visibilité horizontale n'excédait pas un
kilomètre, le plafond était à moins de 50 mètres.
Le vent soufflait en rafales du sud-est à la vitesse de 30, 40
kilomètres à l'heure. Nous vîmes alors une mer agitée, et parfois
démontée. La lumière de la lune ne perçait pas les nuages.
La nuit nous surprit en plein milieu des grains.
Je vécus des heures vraiment très désagréables. Si le moteur tournait
toujours avec la plus parfaite des régularités et si toutes les
températures étaient normales, la pleine charge rendait le pilotage très
pénible.
Lassé de ne rien voir je mis la tête dans la carlingue et conduisis
l'hydro en me servant uniquement des appareils de bord et de contrôle.
Dabry et Gimié n'étaient pas plus à l'aise, le premier pour effectuer
ses travaux de navigation, et le second pour émettre et recevoir des
messages de radio.
Pendant trois heures et demie, tout se confondit : les nuages, l'horizon
et la mer. De temps à autre, des petites gouttes d'huile s'écrasaient
sur le pare-brise. Je n'eus aucune inquiétude : je croyais que le
trop-plein d'huile s'échappait par le bouchon du réservoir.
Comme tout a une fin, à minuit, nous dépassâmes la zone de perturbation,
pour entrer dans un ciel splendide, dépourvu de tout nuage, et baigné
dans une lumière éclatante.
Jusque-là, nous avions navigué avec une grande sûreté : le poste de
Fernando de Noronha et le bâtiment Cigogne firent des relèvements avec
beaucoup de précision. Noronha commit toutefois une petite erreur et
nous emmena à 45, 50 kilomètres à gauche de notre route. L'ancien
capitaine au long cours Dabry eut tôt fait de faire le point et de
déterminer la correction. Deux heures plus tard, le Brentivy nous
indiqua que nous étions sur la bonne route.
Je commençais à être tourmenté par les taches d'huile qui grossissaient
et se multipliaient sur le pare-brise. Car les heures passaient, et le
moteur devait bien consommer quelques litres.
Je fus distrait par deux lumières qui paraissaient posées sur la mer,
non loin du rocher de Saint-Paul que nous avions laissé à notre droite.
J'éprouvai la curiosité d'aller voir de près ces deux lumières.
En me rapprochant de la surface de l'océan quelle ne fut pas ma
stupéfaction de voir une véritable ville flottante ! Mille fenêtres ou
hublots étaient éclairés comme les fenêtres d'un palace un soir de
grandes réjouissances. Le fait de voir en pleine nuit, au coeur de
l'océan, un paquebot en fête a quelque chose de magique et de grandiose.
Je fis un large virage au-dessus du navire, tandis que Gimié nous
faisait connaître et demandait à l'équipage où il allait et qui il
était. En réponse à notre appel, nous reçûmes des Portugais des souhaits
de réussite.
Nous allions vers la fin du clair de lune ; pas la moindre brise de vent
; la mer était calme et notre joie complète. Nous faisions alors un
véritable voyage de plaisir, une excursion ; de pilotes de ligne, nous
étions devenus des touristes.
Le Brentivy nous fixa sur notre position. La lune disparut à l'horizon
et ce fut la nuit noire, une nuit d'encre.
Il était 6 heures. Les lueurs d'échappement du moteur m'aveuglaient et
me faisaient mal aux yeux de telle façon que je me trouvais dans
l'obligation, une seconde fois, de regarder à l'intérieur de la
carlingue et de suivre toutes les indications données par les
instruments de bord pour piloter.

Une fuite d'huile.

J'attendais le lever du jour avec une vive impatience.
Quand le soleil s'éleva au-dessus de la ligne d'horizon, j'aurais alors
préféré ne le voir jamais : c'est l'aube qui me fit entrevoir toute
l'importance du désastre : il y avait de l'huile partout, sur le
pare-brise, sur la carlingue, il y en avait jusque dans le poste de
pilotage. Il se passait évidemment quelque chose d'anormal.
Cependant, le moteur tournait aisément au régime de 1.620 tours-minute,
et notre vol en avant était facilité par un vent du sud-ouest. A 200
mètres d'altitude, nous distinguions les vagues qui semblaient avoir
deux à trois mètres de creux.
Il n'y avait qu'une seule chose à faire : passer les 35 kilogrammes
d'huile de réserve dans le moteur, puisque la pression d'huile avait des
variations inquiétantes.
Il était impossible d'atteindre la côte.
J'alertai Gimié pour lui dire d'aviser le Phocée de notre infortune. Le
second bâtiment de secours placé par mesure de sécurité sur notre trajet
par l'Aéropostale nous fit savoir qu'il se trouvait à 70 kilomètres en
avant.
Presque minute par minute, le radio du Phocée nous passa notre
relèvement pour que nous ayons la certitude de conserver la bonne
direction.
Puis nous n'entendîmes plus rien, nous étions trop près pour percevoir
la moindre émission. Dabry fit le point et constata que j'avais bien
observé les instructions passées par le Phocée.
Les nuages faisaient de grandes taches sombres sur la mer, ce qui
m'empêcha de trouver le bateau. Une longue traînée de fumée indiqua que
le Phocée n'était pas très loin de là, naviguant dans une mer très
démontée.
Nous étions à 800 kilomètres environ de la côte du Sénégal ; il était 10
heures (G. M. T.) et nous volions depuis 14 heures.
Il restait 1.050 litres d'essence dans les réservoirs. L'huile
recouvrait entièrement le pare-brise ; n'ayant plus de chiffons propres
pour essuyer la glace, Dabry me passa un superbe foulard de soie pour
que je puisse procéder à un nettoyage plus rapide.
La pression d'huile était tombée à zéro et la température du moteur
atteignait 90°.

Dans le creux d'une vague de quatre mètres.

Ainsi que nous en avions convenu, le Phocée allait contre le vent. A
notre approche, les baleinières furent mises à l'eau. Ces petites
embarcations dansaient d'une manière effrénée à côté du Phocée qui,
tantôt tombait sur bâbord, tantôt sur tribord, quand il ne piquait pas
du nez.
Comment allait se passer notre amerrissage sur une mer aussi démontée ?
Deux alternatives se présentaient : se poser dans un creux sur le flanc
d'une vague, ou bien aborder l'eau à la crête de la vague.
Le courrier ayant été placé à l'arrière de la cabine, Dabry et Gimié se
maintenant au même endroit, je volais le plus lentement possible en me
rapprochant de l'océan.
Un creux très profond se forma à 30 mètres devant l'hélice, sèchement je
poussai le volant en avant puis le tirai sur le ventre : l'hydravion se
plaqua, en cabrée, sur le flanc de la vague.
Gimié ouvrit la porte, une baleinière s'approcha de nous, grâce à la
dextérité étonnante des matelots.
Gimié lança un filin, l'hydravion et le bateau de sauvetage se
trouvèrent côte à côte. Dans une danse éperdue, nous parvînmes à
décharger les sacs de poste. L'un des plus mauvais moments fut ce
transbordement de l'hydravion dans la chaloupe du vapeur. Nous avons
failli vingt fois tomber à la mer, au milieu des requins que l'aviso,
immobile à la même place depuis quelques jours, avait rassemblés autour
de lui.
J'étais déjà sur l'un des flotteurs quand je m'aperçus que, dans les
préoccupations, j'avais oublié de couper le contact. Je bondis dans
l'avion pour arrêter le moteur.
Dans le choc très brutal de l'amerrissage, un croisillonnage céda et
l'extrémité de l'aile gauche baignait dans l'écume.
Pendant que nous tirions notre appareil vers le Phocée, Dabry détachait
ce qu'il pouvait de la planchette de bord. Lorsque notre navigateur vint
nous trouver, nous étions très près du navire, sur lequel nous ne
tardâmes pas à grimper.
Nous avions espéré pouvoir ramener notre hydro, que nous tirions avec un
câble d'acier très solide.
Une vague plus puissante que les autres s'y opposa et le
Comte-de-La-Vaulx disparut dans les flots.
En regardant sombrer notre hydravion, je me fis la promesse de profiter
plus tard de l'expérience acquise au cours de ces deux vols.

(2) Praïa, ancienne hydrobase de la Compagnie Générale Aéropostale (CGA)
de Calheta Sao Martinho, sur l'île cap-verdienne de Santiago.
Le Lieutenant de vaisseau Paulin Paris fut le premier pilote à avoir
assuré la liaison aérienne entre Saint-Louis du Sénégal et Calheta de
Sao Martinho, soit une distance d'environ 500 km, le 6 mars 1928, à bord
d'un bimoteur CAMS 51. Selon les documents de l'époque, l'hydrobase,
construite en 1928 dans une petite baie située à une dizaine de
kilomètres de Praia, fut pendant trois ans un maillon important sur la
route de l'Aéropostale entre la France et l'Amérique du Sud, le Cap-Vert
ayant été choisi comme ultime escale avant la traversée de l'Atlantique
en direction du Brésil. C'est dans cette base que se faisait la jonction
entre les CAMS et les "avisos", petits bateaux de la marine française,
datant de la Première guerre mondiale, qui acheminaient le courrier
entre le Cap-Vert et les îles Fernando Noronha et le rocher Saint-Paul,
au large du Brésil. Puis, en mai 1930, Jean Mermoz relia pour la
première fois en un vol direct d'une vingtaine d'heures Saint-Louis du
Sénégal à Natal, au Brésil, à bord d'un Latécoère-28. A partir de là,
Calheta n'accueillit plus les CAMS et avisos, mais continua un temps à
servir de relais radio à la ligne transatlantique. En mars 1931,
l'Aéropostale était mise en liquidation judiciaire et, deux ans plus
tard, fusionnait avec d'autres compagnies, donnant naissance à Air
France. En 1981, la compagnie aérienne française avait d'ailleurs
organisé une cérémonie à Calheta Sao Martinho, au cours de laquelle
avait été fixée une plaque commémorative. Des médailles avaient aussi
été remises à deux ouvriers cap-verdiens qui avaient participé à sa
construction. Le hangar et la grue ont aujourd'hui disparu, mais
subsistent encore le pont et des bâtiments qui abritaient les logements
et le poste de communication TSF.

(3 Colonel Casse. Membre de l'Association « Les Vieilles Tiges » en
1922.
L'association dite " Les Vieilles Tiges D'hier Et De Demain ",
association amicale de Pionniers, Aviateurs et Amis de l'Aviation,
fondée en 1920 par : Léon Bathiat, Joseph Sadi-Lecointe, Jean-Claude
Bernard, Paul Schneider et Joseph Frantz.

(4) Avec Saint-Ex, j'ai transporté le courrier.
L'aventure était alors monnaie courante, mais nous n'en sentions guère
le dense volume, toujours en puissance ; chaque étape entraînait son
lourd cortège d'imprévus, d'où le très grand sport n'était pas exclu.
Pour le compagnon de vol du pilote que j'étais, la séance commençait au
sol lorsque, à bord de nos frêles machines, nous roulions pour aller
prendre la ligne de départ à travers les terrains herbeux que la pluie
transformait en marécage, et souvent parsemés de termitières
traîtresses.
Avant la fin de la course, il s'agissait alors de sauter en marche de
cette machine sans freins, pour l'orienter face au vent. Engoncé dans sa
pesante combinaison de cuir, le « préposé » poussait latéralement sur le
plan fixe, subissant l'action du moteur dont les rafales intermittentes
avaient pour objet de faciliter la manoeuvre, mais dont les résultats
nous retrouvaient fréquemment balayés dans la nature. Alors on
recommençait...
Cette nuit là, avec Saint-Ex, nous cahotions sur le terrain de Campo dos
Affonsos ( terrain militaire de Rio de Janeiro où l'Aéropostale était
installée) à la recherche des lampes tempête balisant les limites
praticables du roulage ; au-delà, nous savions les abords largement
agrémentés d'arbustes, de racines, voire même de quelques fondrières.
Le hangar que nous venions de quitter s'était fondu dans la nuit.
Accroché au mât de cabane, près de Saint-Ex, je cherchais également à
distinguer un repère quelconque. Assez loin tout alentour des lumières
scintillaient, dont nous ne pouvions identifier ni la nature, ni le lieu
; elles se diffusaient en cascades, sur les pentes des montagnes
voisines, dont les masses noires se découpaient sur le ciel de nuit.
Moteur au ralenti, nous progressions lentement, au gré des cahots d'un
terrain inégal. Attentif, Saint-Ex jouait prudemment de la manette des
gaz. Soudain, il nous a semblé être en terrain d'avion-cross, et bientôt
une secousse plus forte nous immobilisa.
- J'ai bien un cap, me dit alors Saint-Ex. Mais nous ne pouvons tout de
même pas aller en rouleur jusqu'à Santos.
- Descendez me virer... Il avait plu durant toute la journée précédente,
et une aimable moiteur s'étendait au ras du sol où la nature semblait
avoir grandi. Je tombai en effet sur un terrain mou, détrempé, dans une
espèce de forêt naine mais touffue, où les arbustes tenaces
s'accrochaient à moi de toutes parts. Selon le rite établi, et à l'aide
de ma lampe électrique, j'éclairai, à l'attention du pilote, un mouchoir
tenu à bout de bras ; et cette manche à air pittoresque, si fréquemment
utilisée, nous indiquait bien une situation de vent arrière. Il fallait
donc faire virer cette machine, qui semblait solidement ancrée au sol.
Alors se renouvela une merveilleuse séance de sport, dont la technique
nous était familière.
Sur un de mes appels, Saint-Ex déchaîna l'ouragan. Pendant que de toutes
mes forces je poussais latéralement sur le plan fixe, mes talons
cherchaient obstinément au sol à s'arc-bouter sur des aspérités. Certes,
celles-ci ne manquaient pas, mais sur la surface glissante toutes
s'effaçaient les unes après les autres. Les rafales du 450ch courbaient
les arbustes mouillés, dont les sommets semblaient couler à la lueur des
gerbes d'étincelles qui fusaient du pot d'échappement.
Sous les à-coups des pleins gaz, la structure entière de la machine
vibrait, et ses frémissements me parvenaient à travers les épais gants
de cuir qui protégeaient mes mains. Sous l'impulsion du pilote, je
sentais l'avion vivre dans une sorte d'état fébrile, prêt à être jeté
vers son élément. Dans les violents remous en tornade du moteur, les
volets de direction et de profondeur, animés par Saint-Ex, battaient
l'air à travers la nuit. Mais, sur le sol, la béquille semblait avoir
pris des racines. Mon cuir ruisselait, tant au dehors qu'au dedans...
Orchestrés par Saint-Ex, nos efforts conjugués n'en faiblissaient guère
pour autant ; nous étions de « ceux qui insistent » Et soudain je sentis
l'avion partir. Saint-Ex réduisit aussitôt, et la machine s'immobilisa.
Il m'appela auprès de lui et, d'un geste, indiqua quelques points
lumineux, au loin, devant. - Qu'est-ce que c'est ? interrogea-t-il.
Après notre intermède sportif, je n'ose pas dire être tombé des nues,
mais je hochai la tête de significative manière. - Bon, ajouta Saint-Ex.
Allez, montez, on va bien voir...
Pour nous, aller voir c'était l'application d'une devise, et aussi une
nécessité. Et Saint-Ex mit les gaz.
Une minute plus tard, nous étions en l'air. Nous nous installions dans
le ciel. Le soir même, après dix-huit heures de vol, six étapes assurées
et quelques séances supplémentaires de sport, nous atterrissions sur le
terrain de l'Aéropostale, à Pacheco, proche de Buenos-Aires, de nuit
derechef. Nous assurions la Ligne...

Jean Macaigne
--
= Dominique Ottello = http://www.ottello.net
Aujourd'hui, l'idéal du progrès est remplacé par l'idéal de l'innovation :
il ne s'agit pas que ce soit mieux, il s'agit seulement que ce soit nouveau,
même si c'est pire qu'avant et cela de toute évidence. Montherlant
Anvil
2005-04-27 18:41:31 UTC
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Post by Dominique Ottello
Colonel Casse, Jean Argaud, Aviateur Rodier, Jonquille, Péronne,
Reims, Belfort, Lunéville, Révigny, Épernay, Cigogne, Phocée,
Becfigue, Bemtévi.
vous évoquent-ils quelque chose ?
Merci Dominique pour cette page aéromaritime.Je ne savais pas que ces
gens là ( les équipages des avisos ) étaient des marins d'Air France.
Comme quoi, on en apprend tous les jours. Vivement demain!
monloui
2005-04-28 23:27:46 UTC
Permalink
Post by Dominique Ottello
Dominique Ottello
merci Dominique ,
si tu en as d'autres c'est avec plaisir que je te lirai.
@+
Louis

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